La structure du discours dans Atlas Shrugged

AVERTISSEMENT SPOILER

Avant toute chose, prévenons que le présent article divulgue une partie essentielle du roman Atlas Shrugged (La Grève ou La Révolte d’Atlas en français) d’Ayn Rand. Si vous ne l’avez pas lu, je vous invite à le faire avant de consulter ce qui va suivre.

Dans ce billet, il sera question, non pas de la structure du discours en général dans Atlas Shrugged, mais de la structure d’un discours en particulier, le discours, le fameux discours au point culminant du roman. Ce discours peut donner au lecteur inattentif le sentiment d’être une mosaïque d’idées sans ordre particulier, mais il n’en est rien. Il est rigoureusement organisé d’après une structure logique précise, suivant plusieurs facteurs, à la fois d’ordres philosophiques et littéraires.

Je vous propose de découvrir ici le plan qui structure ce discours, ses différentes parties, sections, subdivisions jusqu’aux différentes idées qui y sont exprimées, avec le numéro de paragraphe (§) où elles se situent. (Des documents PDF seront fournis plus bas pour savoir retrouver vos paragraphes.) Après quoi, je mettrais en lumière quelques petits aspects notables, que vous aurez peut-être remarqué ou non, au sujet de ce discours.

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Les inexactitudes de Kosmos sur Ayn Rand — vidéo réponse

« Kosmos » est une chaîne Youtube de vulgarisation philosophique animée par Fabien, professeur de philosophie. La plupart des vidéos de cette chaîne Youtube présente un auteur (philosophe, romancier…) en résumant ses idées, ou du moins certaines d’entre elles, en une vingtaine de minutes la plupart du temps. Je n’ai pas visionné beaucoup de contenu de cette chaîne, mais en juin dernier, une vidéo de présentation de la philosophie d’Ayn Rand a été mise en ligne et j’ai naturellement été curieux de la voir.

Cette présentation, qui se veut manifestement bienveillante et dont l’auteur me semble honnête dans sa démarche, n’en comporte pas moins nombre d’inexactitudes et d’équivoques conduisant à une représentation erronée de la philosophie d’Ayn Rand, lui faisant dire parfois l’exact contraire de ce qu’elle dit. (Les pires contresens étant les rapprochements qui sont faits avec Kant d’une part et avec Mandeville d’autre part. Contresens que Fabien n’est pas le premier à faire.)

Cela m’a donc inspiré cette réponse, en vidéo également, sous forme de lettre ouverte :

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Une nouvelle édition (gratuite) de la correspondance d’Ayn Rand

lettersofaynrandIl y a vingt-cinq ans, Michael S. Berliner publiait pour la première fois la correspondance d’Ayn Rand aux éditions Penguin, sous le titre Letters of Ayn Rand (à ne pas confondre avec The Ayn Rand Letter). Un épais volume qui comportait plus de 670 pages de lettres d’Ayn Rand à des personnalités de son temps comme Cecil B. DeMille, H. L. Mencken, Isabel Paterson, Henry Hazlitt, Frank Lloyd Wright, Leonard E. Read et bien d’autres, aussi bien qu’à des anonymes ainsi qu’à sa famille. À bien des égards, cette publication apportait beaucoup d’éclairages, non seulement sur la vie et la personnalité d’Ayn Rand, mais également sur sa philosophie, en particulier dans ses débats épistolaires (avec John Hospers par exemple) et ses réponses aux questions que lui envoyaient les lecteurs.

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Introduction à l’Objectivisme

Ce qui suit est la transcription, traduite par mes soins, de la première d’une série d’émissions radio que donna Ayn Rand pour l’université de Columbia à partir de 1962. Dans cette première émission elle introduit brièvement quelques principes de la philosophie Objectiviste et clarifie certaines confusions.


Portrait
Ayn Rand (1905-1982)

Bonsoir Mesdames et Messieurs,

Lorsqu’on me demande d’intervenir publiquement, la première requête que j’entends est la suivante : « Pourriez-vous nous dire brièvement ce qu’est l’Objectivisme ? ». Je commencerai donc cette série d’émissions en répondant à cette question.

J’ai écrit ma réponse la plus courte dans ma première chronique du Los Angeles Times de juin 1962. J’ai commencé à écrire une chronique hebdomadaire cet été et elle va désormais être relayée au niveau national. Le rédacteur en chef m’a demandé de commencer par faire un bref résumé de ma philosophie, pour servir de base ou cadre de référence de mes chroniques futures. J’ai été aussi brève que possible. J’ai fourni un résumé, mais également son rapport avec le monde moderne. La meilleure manière de vous introduire à l’Objectivisme est de citer cette chronique. Voici ce que j’ai écrit :

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Les racines métaphysiques et épistémologiques de la vertu d’indépendance

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Détail de l’illustration de couverture de The Virtue of Selfishness par Nick Gaetano

J’ai souligné à maintes reprises en ces lieux le fait que toutes les idées, dans la philosophie Objectiviste, étaient interconnectées, car il s’agit d’un système intégré. C’est un point sur lequel on ne saurait trop insister. Ainsi l’éthique Objectiviste a t-elle logiquement une racine dans la métaphysique et l’épistémologie Objectiviste. On peut démontrer, pour n’importe laquelle des sept vertus de cette philosophie, en quoi celle-ci dépend nécessairement des branches fondamentales de cette même philosophie. C’est ce que nous allons faire ici, et j’ai choisi pour exemple la vertu d’indépendance.

L’indépendance n’est évidemment pas une vertu louée exclusivement par l’Objectivisme. D’autres philosophies (pas toutes cependant, loin s’en faut) ont fait l’éloge de l’indépendance — d’esprit ou matérielle — bien avant Ayn Rand. Mais comme je l’ai dit à d’autres occasions, le caractère unique et inédit de la philosophie Objectiviste ne vient pas seulement du contenu en tant que tel mais de la manière dont les idées sont intégrées. Voyons justement un cas pratique, et demandez-vous si les autres philosophies qui ont fait l’éloge de l’indépendance, l’ont validé métaphysiquement et épistémologiquement de la même manière. (Demandez-vous quels étaient les fondements ultimes de leur défense de l’indépendance, s’il y en avait une.)

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Le sophisme de Greenspan

Greenspan_Sophisme
Alan Greenspan

Lorsque la presse — ou un livre — parle d’Ayn Rand à charge, l’un des arguments que l’on retrouve régulièrement à son encontre est ce que j’appellerai « le sophisme de Greenspan ».

Celui-ci est très simple. Comme à l’accoutumé, il ne parle même pas des idées Objectivistes. Il se présente comme suit :

  • Alan Greenspan a été un disciple d’Ayn Rand dans sa jeunesse
  • il a aussi été à la tête de la Réserve fédérale (la Fed)
  • la Fed est en partie responsable de la crise financière de 2008
  • donc la philosophie d’Ayn Rand est discréditée.

L’une des caractéristiques de ce sophisme est qu’il est toujours utilisé par des gens qui ne connaissent absolument rien à la philosophie d’Ayn Rand. À une seule exception près : Alan Greenspan lui-même, qui est l’initiateur du sophisme.

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Note introductive à L’Homme qui rit de Victor Hugo

Le court texte d’Ayn Rand qui suit, intitulé An Introductory Note to The Man Who Laughs, traduit en français par mes soins (sauf le passage de L’homme qui rit cité au début  où j’ai naturellement repris le texte original de Hugo), fut publié en décembre 1967 dans le sixième volume de The Objectivist, numéro 12. Il servit également de préface à une édition en anglais de ce roman, édité à l’époque par les presses du Nathaniel Branden Institute, reprenant, me semble t-il, la traduction de Joseph L. Blamire.


L-homme-qui-ritDans cette éclipse on entendit le docteur qui disait :
― Prions.
Tous se mirent à genoux.
Ce n’était déjà plus dans la neige, c’était dans l’eau qu’ils s’agenouillaient.
Ils n’avaient plus que quelques minutes.
Le docteur seul était resté debout. Les flocons de neige, en s’arrêtant sur lui, l’étoilaient de larmes blanches, et le faisaient visible sur ce fond d’obscurité. On eût dit la statue parlante des ténèbres.
Le docteur fit un signe de croix, et éleva la voix pendant que sous ses pieds commençait cette oscillation presque indistincte qui annonce l’instant où une épave va plonger. Il dit :
― Pater noster qui es in cœlis.
Le provençal répéta en français :
― Notre père qui êtes aux cieux.
(…)
― Sicut in cœlo, et in terra, dit le docteur.
Aucune voix ne lui répondit.
Il baissa les yeux. Toutes les têtes étaient sous l’eau. Pas un ne s’était levé. Ils s’étaient laissé noyer à genoux.
Le docteur prit dans sa main droite la gourde qu’il avait déposée sur le capot, et l’éleva au-dessus de sa tête.
L’épave coulait.
Tout en enfonçant, le docteur murmurait le reste de la prière.
Son buste fut hors de l’eau un moment, puis sa tête, puis il n’y eut plus que son bras tenant la gourde, comme s’il la montrait à l’infini.
Ce bras disparut. La profonde mer n’eut pas plus de pli qu’une tonne d’huile. La neige continuait de tomber.
Quelque chose surnagea, et s’en alla sur le flot dans l’ombre. C’était la gourde goudronnée que son enveloppe d’osier soutenait.

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L’Objectivisme est-il l’ennemi des émotions ?

AynRand_mythesDes quantités industrielles de mythes, de rumeurs, d’erreurs et de fausses représentations de type « homme de paille » sont véhiculées autour d’Ayn Rand et de sa philosophie, aussi bien par ses détracteurs que par certains de ses sympathisants. Si j’en ai déjà réfuté quelques uns (non l’Objectivisme n’est pas du libertarianisme, non ce n’est pas une philosophie rationaliste, non ce n’est pas une philosophie matérialiste, non ce n’est pas une Éthique de la vertu, non ce n’est pas compatible avec l’éthique kantienne, non ce n’est pas compatible avec un « altruisme volontaire » ou avec le bouddhisme, etc, etc.) la liste est tellement longue que je pourrais consacrer intégralement le blog à ces déformations et désinformations persistantes.

L’une des très nombreuses sottises du livre Ayn Rand ou la passion de l’égoïsme rationnel, soutenues à plusieurs reprises dans l’ouvrage par Alain Laurent — bien qu’il ne soit pas cohérent à cet égard comme à d’autres — mais qui a également été véhiculée par d’autres personnes, est que la philosophie d’Ayn Rand serait « contre les émotions ».

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À quoi tient le succès philosophique du déterminisme ?

determinism2Le sujet traité aujourd’hui sera l’élément crucial sur lequel, je le crois, tient en grande partie le succès du déterminisme philosophique. Ce qui fait que beaucoup de gens qui réfléchissent à cette question ont un problème avec le libre-arbitre.

Je m’empresse de préciser que le présent article n’a pas pour but de réfuter le déterminisme ni de prouver le libre-arbitre en exposant les arguments Objectivistes sur le sujet : il existe beaucoup de matériel là dessus que je fournirai plus bas. Ce blog, rappelons le, n’est pas autosuffisant, il n’a pas vocation à paraphraser ou à remplacer du contenu déjà existant, mais de proposer des éclairages complémentaires à ce qui existe. Je suppose donc que la théorie Objectiviste du libre-arbitre — qui est distincte des théories traditionnelles sur la question — est déjà connue, au moins dans les grandes lignes.

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Les données métaphysiques et l’œuvre de l’homme

Le présent article d’Ayn Rand, traduit par mes soins, a été publié à l’origine en mars 1973 dans The Ayn Rand Letter. Il fut intégré comme chapitre dans le recueil posthume Philosophy: Who Needs It. Le texte original en anglais est disponible à cette adresse.


« Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer, le courage de changer les choses que je peux, et la sagesse d’en connaître la différence. »

PhilosophyWhoNeedsItCette remarquable déclaration est attribuée à un théologien avec lequel je suis en désaccord sur tous les points fondamentaux : Reinhold Niebuhr. Néanmoins — si l’on met de côté la forme de la prière, c’est-à-dire l’implication selon laquelle nos états psycho-émotionnels sont un don de Dieu — cette déclaration est profondément vraie, en tant que synthèse et directive : elle indique l’attitude mentale qu’un homme rationnel doit chercher à atteindre. La déclaration est belle dans son éloquente simplicité ; mais parvenir à atteindre une telle attitude implique les plus profonds enjeux métaphysiques et moraux de la philosophie.

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